
Stigmate. Les usages sociaux des handicaps
Erving Goffman
Cet ouvrage a été traduit de l’anglais par Alain Kihm. Il est édité par les « éditions de minuit ». L’édition à laquelle se réfère cette fiche de lecture date de 2003 et compte 170 pages.
L’auteur, Erving Goffman est un sociologue américain né au Canada en 1922 et décédé aux États-Unis en 1982.
Goffman étudie les interactions sociales modernes et non pas, comme ses prédécesseurs, celles de sociétés tribales.
Définition de stigmate
Le titre de l’ouvrage se compose de deux parties, la première, «Stigmate» au singulier, ou «Stigma» en anglais. Le mot anglais a le sens de honte. Il s’écrit de la même manière que le mot grec signifiant «piqûre» et désignant la ligature alphabétique ST.
Selon le dictionnaire historique de la langue française ce mot dérive de « stizein » signifiant « piquer » et qui se rattache à la racine indo-européenne «sti» à laquelle se rattachent les mots étiquette, stick, instigateur. Donc le titre nous indique d’emblée que le sujet du livre est cette marque distinctive ayant un caractère socialement honteux et dont certains individus sont porteurs.
Le sous-titre «les usages sociaux du handicap» précise le projet de l’auteur. Il relie le stigmate au handicap et aux comportements sociaux qu’il induit. On peut dès lors penser que tout handicap représente un stigmate. Quant au mot «usage», il peut nous indiquer plusieurs directions :
- La pratique habituellement observée dans une collectivité.
- Les habitudes particulières dans un groupe.
- Les comportements considérés comme faisant partie des normes.
- L’ensemble des pratiques sociales.
Dans ce livre Erving Goffman, à partir de témoignages, d’ouvrages littéraires et d’ouvrages se référant à la psychologie sociale, analyse l’impact qu’un handicap, un écart à la norme, peut avoir sur les interactions sociales, tant du côté des personnes qui en sont porteuses que du côté des personnes dites «normales».
Goffman définit le terme «stigmate» comme un désordre physique, une disgrâce ; plus précisément le stigmate représente la différence entre l’identité sociale virtuelle (qui correspond aux attentes normatives envers un individu, ce qu’on croit qu’il est, ce qu’on voudrait qu’il soit, le stéréotype qu’on en a) et l’identité réelle de celui-ci (attributs, dans le sens de particularités, possédés de fait par cet individu).
Ainsi pour Goffman : «Le mot stigmate servira donc à désigner un attribut qui jette un discrédit profond […].» Cependant, Goffman nous rappelle qu’il se place du point de vue de la relation car, selon la situation, un attribut peut stigmatiser un individu ou au contraire « confirmer la banalité de tel autre ». Goffman précise que si la différence d’un individu est déjà connue, ce dernier est discrédité, si elle n’est pas encore connue il est alors discréditable. Il distingue trois types de stigmates : les difformités du corps, les tares du caractère, les stigmates tribaux (race, nationalité, religion).
Stigmate et identité sociale
Dans le premier chapitre intitulé «stigmate et identité sociale», à partir de témoignages, Goffman analyse les conséquences sociales, pour les personnes stigmatisées, d’une atteinte, d’un défaut ou d’une difformité. «Comment la personne stigmatisée réagit-elle à sa situation ?» se demande Goffman :
elle peut corriger sa déficience, dépenser beaucoup d’énergie pour maîtriser une activité comme une personne «normale», mépriser les conventions sociales liées à son état, obtenir des «petits profits» en expliquant la cause de ses insuccès par le stigmate dont elle est porteuse, considérer son stigmate comme une bénédiction, s’isoler du monde et de la société avec le risque d’être en proie à la dépression, à l’angoisse ou au désarroi ; elle peut trouver du réconfort parmi ses pairs ou les normaux compatissants, «initiés», et faire de son désavantage une base d’organisation de sa vie «à condition de se résigner à la passer dans un monde diminué».
modèles de socialisation des personnes stigmatisées
Goffman repère quatre modèles de socialisation des personnes stigmatisées :
- le premier concerne les personnes qui se socialisent au sein de leur désavantage tout en intégrant les critères auxquels ils ne satisfont pas.
- Le deuxième est représenté par la capacité de la famille à protéger son enfant stigmatisé.
- Le troisième modèle est illustré par le cas des personnes discréditées tardivement dans leur vie qui ayant vécu normalement sont contraintes de se reconsidérer comme déficientes.
- Le quatrième modèle s’applique aux personnes socialisées dans une communauté étrangère et qui doivent apprendre une seconde manière d’être.
Finalement l’attitude la plus fréquente d’une personne discréditée, est de ne pas reconnaître ce qui en elle la discrédite en un effort attentif d’indifférence qui s’accompagne souvent d’une tension, d’une incertitude et d’une ambiguïté ressenties par tous les participants, et surtout par le stigmatisé.
Contrôle de l’information et identité personnelle
Le chapitre deux s’intitule «contrôle de l’information et identité personnelle» et traite de l’éventualité où la personne est discréditable : «Le problème n’est plus tant de savoir manier la tension qu’engendrent les rapports sociaux que de savoir manipuler de l’information concernant une déficience».
Il s’agit donc de dissimuler une information discréditrice. Goffman, nomme cette information «information sociale». Elle représente ce qui caractérise de façon plus ou moins durable un individu, ainsi que le signe ou symbole par lequel elle se transmet ; elle est émise par la personne concernée. En exemple l’auteur cite les insignes d’appartenance à un club, l’alliance chez les hommes, ou la tête rasée des «collaboratrices» en 1945. Il oppose les symboles de prestige aux symboles de stigmate. Cependant, ces signes peuvent avoir des sens différents selon le groupe où il est diffusé.
Goffman, toujours dans ce chapitre, souligne l’importance que joue la visibilité du stigmate et développe le concept d’identité personnelle. Celle-ci est composée de l’ensemble des signes distinguant une personne d’une autre (en lien avec l’information sociale), mêlés à «une combinaison unique de faits biographiques».
L'identité personnelle fait partie des éléments que cette personne a la possibilité de contrôler, contrairement à l’identité sociale, qui elle, correspond aux attentes normatives des gens qui rencontrent cette personne. Ainsi chaque individu possède-t-il une identité sociale accessible aux gens pour qui il est un parfait inconnu, et une identité personnelle abordable que par ceux qui le connaissent.
Goffman nomme faux-semblant le fait, pour un individu, de dissimuler dans certaines circonstances, le stigmate dont il est porteur.
L’identité pour soi
Goffman définit dans le chapitre trois une troisième forme d’identité : l’identité pour soi. La nature de cette identité s’oppose aux identités sociales et personnelles d’un individu dans la mesure où ces dernières concernent «le souci qu’ont les autres de le définir». L’identité pour soi a à voir avec ce que peut ressentir un individu par rapport à son stigmate.
La déviance
Dans le quatrième chapitre, Goffman s’intéresse à la déviance. Il définit comme dévieur, tout membre d’un groupe qui n’adhère pas aux valeurs et aux normes sociales de ce groupe. Il distingue les déviants intégrés et les déviants sociaux ; à ces deux catégories se rajoutent les minorités et les sous-prolétaires. Pour Goffman tous ces individus «peuvent à l’occasion se retrouver pareils à des stigmatisés, anxieux de l’accueil qui les attend et accaparés par les diverses réactions qui s’offrent à eux.»
Ajouter un commentaire
Commentaires